En 2025, on compte près de 800 millions de visiteurs hebdomadaires sur le site d’OpenAI. ChatGPT et ses consorts ont conquis l’espace médiatique, capté l’attention du grand public, et généré une effervescence sans précédent autour de l’intelligence artificielle générative. Cette omniprésence a un prix : elle occulte souvent la diversité et la richesse des autres usages de l’IA, notamment dans l’industrie, la logistique ou encore la supply chain. Et pourtant, dans ces secteurs, une transformation en profondeur est à l’œuvre. Moins spectaculaire que celle de la génération de texte ou d’images, elle n’en est pas moins structurante. Elle dessine une deuxième révolution de l’IA : plus discrète, plus technique, mais à fort impact économique et opérationnel.
Une adoption croissante et structurée
L’article publié par Les Échos le 9 octobre 2025 sous la plume d’Étienne Thierry-Aymé révèle un fait désormais difficile à ignorer : l’IA n’est plus cantonnée aux laboratoires ou aux directions innovation. Elle s’infiltre dans les rouages mêmes des entreprises françaises, grandes et petites, au cœur des processus de production, de maintenance et de gestion des flux. Un mouvement renforcé par le plan gouvernemental « Osez l’IA », qui vise à démocratiser l’accès à ces technologies dans l’ensemble du tissu économique.
Derrière ce plan ambitieux se cachent des objectifs chiffrés : 100 % des grands groupes, 80 % des PME/ETI et 50 % des TPE devront avoir intégré des solutions IA d’ici 2030. L’enjeu est clair : générer un gain de productivité estimé à +20 % par entreprise. Pour cela, le dispositif repose sur trois piliers : sensibiliser via 300 « ambassadeurs IA » en région, former 15 millions de professionnels grâce à une « Académie de l’IA », et accompagner les entreprises avec des diagnostics personnalisés opérés par Bpifrance, appuyés par des prêts garantis.
Des cas d’usage concrets et opérationnels
Loin des démonstrations spectaculaires de ChatGPT, les cas d’usage industriels de l’IA se caractérisent par leur pragmatisme. Ils visent la réduction des coûts, la fiabilité des systèmes, et l’optimisation des ressources. Trois domaines se détachent particulièrement :
La production, où l’IA permet d’automatiser des tâches répétitives, d’anticiper les anomalies, et de maintenir une qualité constante. Siemens, par exemple, intègre des algorithmes directement dans ses automates industriels, avec une approche centrée sur l’« IA diffuse », c’est-à-dire embarquée dans les processus existants ;
La maintenance prédictive, qui repose sur l’analyse de données issues des machines pour anticiper les pannes avant qu’elles ne surviennent, réduisant ainsi les arrêts non planifiés et allongeant la durée de vie des équipements ;
La supply chain, transformée par l’analyse des données en temps réel, qui permet de mieux prévoir les demandes, d’ajuster les stocks, et de replanifier les flux logistiques avec agilité.
Ces transformations sont bien présentes dans les contenus que je propose lors de mes formations aux managers de transition. Car oui, une révolution technologique est en cours, mais elle nécessite un effort de traduction et d’appropriation pour ceux qui, demain, devront la piloter.
Un large domaine d’application
Ces grands domaines d’application prennent corps à travers des cas d’usage que j’ai l’occasion d’analyser avec les managers de transition lors de mes sessions de formation. Le cas d’Augury, avec sa plateforme HALO, illustre la montée en puissance de la maintenance prédictive : 70 % de pannes évitées, un ROI pouvant atteindre 20 fois l’investissement initial, et des milliers d’heures de production économisées, comme chez PepsiCo. Senseye, la solution de Siemens, mise sur une approche légère en s’appuyant sur les données existantes des sites industriels, permettant jusqu’à 50 % de réduction d’arrêts non planifiés. Dans un autre registre, HDSN anticipe les incendies électriques — première cause de sinistres en entreprise — grâce à une IA embarquée analysant en continu les micro-signaux physico-chimiques. Côté sobriété industrielle, Reeverse Systems utilise l’IA pour identifier et réintégrer en temps réel les chutes de matériaux, avec à la clé jusqu’à 15 % de pertes évitées dès la phase de conception. Enfin, Getlink (ex-Eurotunnel) automatise l’inspection de ses infrastructures critiques grâce à une IA combinant capteurs, machine learning et jumeaux numériques, générant 1,5 million d’euros d’économies par an.
Autant de projets qui montrent que l’IA industrielle est déjà à l’œuvre, de manière silencieuse mais efficace, dans les ateliers, les entrepôts et les chaînes de production. Et pourtant, comme le rappelle une étude de Gartner, 40 % des projets IA industriels seront abandonnés d’ici 2027, faute de gouvernance, de stratégie de déploiement ou de retour sur investissement clair. D’où l’importance de poser, en amont, un cadre méthodique d’évaluation — intégrant ROI, qualité de données, conformité réglementaire et impacts humains — que j’aide précisément les participants à formaliser au cours de mes accompagnements.
Un écosystème de soutien en pleine expansion
Pour soutenir cette dynamique, les moyens sont à la hauteur des ambitions. Bpifrance déploiera 10 milliards d’euros d’ici 2029 pour structurer l’écosystème IA en France. Déjà en 2024, plus de 600 PME et ETI ont bénéficié de diagnostics « Data IA », et plus de 8 000 dirigeants ont entamé une formation IA en ligne. Ces chiffres, bien qu’encourageants, doivent être interprétés avec nuance. Car si la prise de conscience est réelle, les freins demeurent nombreux. Et l’important n’est pas uniquement que des dirigeants suivent un Mooc, mais qu’à l’aide de formation auprès des équipes et d’une sensibilisation à l’échelle de l’entreprise on parvienne à instaurer un esprit “IA” dans l’entreprise.
Parmi les freins les plus “féroces”, on peut citer la gouvernance des données, la pénurie de compétences spécialisées, la perception d’un retour sur investissement incertain, ou encore les risques cyber. L’hétérogénéité des parcs industriels complexifie aussi le déploiement à grande échelle. Les études de Bpifrance Le Lab en témoignent : seules quelques entreprises disposent d’une stratégie IA véritablement formalisée. La majorité reste à l’étape du pilote, peinant à « scaler » les projets de façon structurée.
Le rôle clé des offreurs technologiques
Les industriels comme Siemens, Altair, ou Dassault Systèmes jouent un rôle central dans cette transformation. Leur apport ne se limite pas à des solutions logicielles : ils repensent l’architecture même des systèmes industriels, en intégrant nativement des briques IA interopérables et sécurisées. L’interview croisée de Siemens et Altair, parue dans ActuIA, illustre parfaitement cette stratégie. La convergence IA–simulation–automatisation devient le cœur d’une promesse : transformer les données terrain en décisions exploitables, en temps réel.
Cette approche ouvre la voie à de nouveaux cas d’usage : contrôle qualité automatisé, ajustement dynamique des cadences de production, ou encore pilotage intelligent des approvisionnements. Elle répond aussi à un enjeu de souveraineté technologique pour l’Europe, qui entend développer ses propres standards et éviter une dépendance accrue aux solutions extra-européennes. Et dans ces cas là, l’entreprise est accompagnée cela change tout !
Une révolution tranquille mais déterminante
L’IA industrielle ne fait pas de bruit. Elle ne dessine pas de chats roses ni ne rédige des poèmes surréalistes. Elle travaille en silence dans les ateliers, les entrepôts, les chaînes de production. Elle rend les machines plus fiables, les flux plus fluides, les décisions plus éclairées. C’est cette IA-là que nous devons mieux comprendre, mieux accompagner, et surtout mieux valoriser.
Elle ne fait pas rêver les foules comme ChatGPT, mais elle produit de la valeur. Elle n’écrit pas des dissertations, mais elle réduit les temps d’arrêt machines. Elle n’improvise pas, elle optimise. Et c’est précisément cette efficacité pragmatique qui en fait un levier de compétitivité décisif pour les entreprises françaises.
Conclusion : voir au-delà de l’arbre qui cache la forêt
Il est temps de sortir de l’illusion d’une IA monolithique. Derrière le succès viral des IA génératives se cache une forêt dense d’initiatives, d’expérimentations et de déploiements silencieux. L’IA est déjà là, dans nos processus industriels, dans nos entrepôts logistiques, dans nos outils d’aide à la décision. Elle agit, elle transforme, et elle ouvre des perspectives nouvelles.
À travers mes formations aux managers de transition, je constate que ces sujets suscitent un vif intérêt. Car comprendre les usages réels de l’IA, c’est se doter des clés pour accompagner la transformation, au plus près du terrain. C’est aussi refuser les effets de mode pour mieux s’ancrer dans le réel.
Alors oui, continuons à explorer les promesses des IA génératives. Mais n’oublions pas de lever les yeux vers cette forêt dense où s’inventent, chaque jour, les usages concrets qui redéfinissent nos modèles de production. Car c’est là que se joue, en silence, une révolution déterminante pour notre économie
Sources
Étienne Thierry-Aymé, Les Échos Numérique, « Production, maintenance, supply chain : les entreprises françaises osent l’IA », 9 octobre 2025.
Ministère de l’Économie, Osez l’IA : un plan pour diffuser l’IA dans toutes les entreprises, https://www.economie.gouv.fr/actualites/osez-lia-un-plan-pour-diffuser-lia-dans-toutes-les-entreprises
Dossier de presse du Ministère de l’Économie, Osez l’IA, 1er juillet 2025, https://presse.economie.gouv.fr/osez-lia-le-plan-pour-diffuser-lia-dans-toutes-les-entreprises/
Bpifrance, Bpifrance mobilise 10 Md€ pour développer l’écosystème IA et faciliter l’adoption par les entreprises, 27 mars 2025, https://www.bpifrance.com/2025/03/27/bpifrance-deploys-e10-billion-to-develop-the-ai-ecosystem-and-facilitate-the-adoption-of-artificial-intelligence-by-french-companies/
Interview croisée – Siemens & Altair : une alliance stratégique au service de l’IA industrielle européenne, ActuIA, https://www.actuia.com/actualite/interview-croisee-siemens-altair-une-alliance-strategique-au-service-de-lia-industrielle-europeenne/
Bpifrance Le Lab, étude 2025, L’IA dans les PME et ETI françaises : une révolution tranquille, https://presse.bpifrance.fr/lia-dans-les-pme-et-eti-francaises-une-revolution-tranquille
France Num, L’IA dans les PME et ETI françaises : une révolution tranquille, https://www.francenum.gouv.fr/magazine-du-numerique/lia-dans-les-pme-et-eti-francaises-une-revolution-tranquille
LeMagIT, IA dans les PME et ETI : une adoption encore faible et très clivée selon Bpifrance, https://www.lemagit.fr/actualites/366628111/IA-dans-les-PME-et-ETI-une-adoption-encore-faible-et-tres-clivee-selon-Bpifrance
Boston Consulting Group (BCG), Where’s the Value in AI ?, octobre 2024, https://media-publications.bcg.com/BCG-Wheres-the-Value-in-AI.pdf